lundi 11 avril 2011

Le délit de corruption en droit tunisien

On parle de plus en plus de la corruption de l'administration tunisienne, c'est peut-être l'un des facteurs de régression économique et c'est surement l'un des motifs de révolte du peuple tunisien. 
Pourtant, le dispositif de droit pénal tunisien reconnaît et incrimine le délit de corruption active et passive.
La corruption active consiste à proposer de l'argent ou un service à une personne qui détient un pouvoir en échange d'un avantage indu; la corruption passive consiste à accepter cet argent.

       A.   La corruption active

L'article 91 (nouveau) du Code pénal punit de cinq (05) ans d'emprisonnement et de cinq mille (5.000) dinars d'amende, toute personne qui aura corrompu ou tenté de corrompre par des dons ou promesse de dons, ou présents ou avantages de quelque nature que ce soit l'une des personnes visées a l'article 82 (nouveau), i.e. fonctionnaire et/ou assimilé en vue d'accomplir un acte lié à sa fonction, même juste, mais non sujet à contrepartie, ou de faciliter l'accomplissement d'un acte lié a sa fonction, ou de s'abstenir d'accomplir un acte qu'il est de son devoir de faire.
Cette peine est applicable à toute personne ayant servi d'intermédiaire entre le corrupteur et le corrompu.

La peine sera portée au double si les personnes visées à l'article 82 (nouveau) ont été contraintes à accomplir les actes précités par voies de fait ou menaces exercées sur elles personnellement ou sur l'un des membres de leur famille.

La tentative de corruption sans effet est punie d'un an d'emprisonnement et de mille dinars d'amende. Elle est de deux ans d'emprisonnement et de deux mille dinars d'amende si la tentative de contrainte par voies de fait ou menaces n'a eu aucun effet.
Par ailleurs, il est à noter que le corrupteur ou l'intermédiaire qui, avant toute poursuite, révèle volontairement le fait de corruption et, en même temps, en rapporte la preuve est absous.
Dans tous les cas de corruption, conformément à l'article 94 du Code Pénal, les choses données ou reçues sont confisquées au profit de l'État.

  1. La corruption passive
La corruption passive est réglementée par les articles 83 à 90 du Code Pénal. L'article 83 définit le fonctionnaire ou assimilé, qui est susceptible de corruption passive et prévoit les différents cas d'incrimination et les différentes sanctions.
Le Code pénal tunisien incrimine le délit de corruption commis par les fonctionnaires publics et assimilés.
En effet, l'article 83 du Code Pénal dispose "toute personne ayant la qualité de fonctionnaire public ou assimilé conformément aux dispositions de la présente loi, qui aura agréé, sans droit, directement ou indirectement, soit pour lui-même, soit pour autrui, des dons, promesses, présents ou avantages de quelque nature que ce soit pour accomplir un acte lié à sa fonction, même juste, mais non sujet à contrepartie ou pour faciliter l'accomplissement d'un acte en rapport avec les attributions de sa fonction, ou pour s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction, auquel il est tenu, est puni de dix ans d'emprisonnement et d'une amende double de la valeur des présents reçus ou des promesses agréées, sans qu'elle puisse être inférieure à dix mille dinars.
Le tribunal prononce à l'encontre du condamné, par le même jugement, l'interdiction d'exercer les fonctions publiques, de gérer les services publics et de les représenter."
Si le fonctionnaire public ou assimilé est à l’origine de la corruption, la peine susmentionnée sera portée au double.
L'article 82 du Code Pénal définit le fonctionnaire public, susceptible de délit de corruption, comme suit :
- toute personne dépositaire de l'autorité publique ou exerçant des fonctions auprès de l'un des services de l'Etat ou d'une collectivité locale ou d'un office ou d'un établissement public ou d'une entreprise publique, ou exerçant des fonctions auprès de toute autre personne participant à la gestion d'un service public.
- Par ailleurs, est assimilé au fonctionnaire public toute personne ayant la qualité d'officier public, ou investie d'un mandat électif de service ou désignée par la justice pour accomplir une mission judiciaire.

L'abus de biens sociaux en droit tunisien

I. L'abus de biens sociaux

En droit tunisien, l'abus de biens sociaux est le fait pour tout dirigeant de société d'avoir utilisé en connaissance de cause les biens, le crédit, les pouvoirs ou les voix de la société à des fins personnelles directes ou indirectes.
L'infraction d'abus de biens sociaux est définie dans le Code des Sociétés Commerciales, par l’article 146 (SARL) et l’article 223 (SA).

L’article 146 dispose que : «Sont punis d’un emprisonnement d’un an à 5 ans et d’une amende de 500 à 5.000 dinars :

1/ - les associés de la société à responsabilité limitée qui dans l’acte constitutif de la société ou lors d’une augmentation du capital social font sciemment de fausses déclarations.
2/ - les personnes qui ont sciemment de mauvaise foi, font attribuer à des apports en nature une évaluation supérieure à leur valeur réelle.
3/ - les gérants qui, en l’absence de toute distribution du reliquat des dividendes, ont sciemment présenté aux associés des états financiers annuels ne reflétant pas la véritable situation de la société ou qui, de mauvaise foi ont fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire à l’intérêt de celle-ci, dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société ou une autre entreprise dans laquelle ils étaient intéressés
directement ou indirectement, ou ils font usage de pouvoirs qu’ils détenaient ou des voix qui étaient en leur possession et qu’ils savaient contraire à l’intérêt de la société dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société ou une autre entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement. (Loi n°2005-65 du 27 juillet 2005, art.3)”
L’article 223 dispose que : « Sont punis d'une peine d'emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus et d'une amende de deux mille à dix mille dinars ou de l'une de ces deux peines seulement:
1) les membres du conseil d'administration qui en l'absence d'inventaires, ou au moyen d'inventaires frauduleux ont opéré entre les actionnaires la répartition de dividendes fictifs.
2) les membres du conseil d'administration qui, même en l'absence de toute distribution de dividendes, ont sciemment publié ou présenté aux actionnaires un bilan inexact en vue de dissimuler la véritable situation de la société.
3) les membres du conseil d'administration qui, de mauvaise foi, ont fait des biens ou du crédit de la société un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement.
4) les membres du conseil d'administration qui, de mauvaise foi, ont fait des pouvoirs qu'ils possédaient ou des voix dont ils disposaient, un usage qu'ils savaient contraire aux intérêts de la société dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société dans laquelle ils étaient intéressés d'une manière quelconque.

· Dans les sociétés anonymes

En application de l’article 207 du Code des Sociétés Commerciales, les administrateurs sont responsables des fautes commises dans leur gestion.
La portée de la formule est large. On relève plus précisément qu’elle n’est pas limitée comme en cas de responsabilité pénale pour abus de biens sociaux, à la violation de l’intérêt social dans un intérêt personnel.
En principe, les dirigeants de la société et administrateurs sont responsables de tous leurs actes qui sont contraires aux intérêts de la société et les fautes prises en compte peuvent être intentionnelles ou non, graves ou légères.
La loi n°2009-16 du 16 mars 2011 a instauré des règles relatives aux conflits d'intérêts entre les intérêts personnels des dirigeants de la société anonyme et les intérêts de celle-ci. A ce titre, le législateur a soumis certaines opérations à autorisation du Conseil d'administration, audit par le commissaire aux comptes et approbation par l'assemblée générale des actionnaires.

A ce titre, l'Article 200 (nouveau) du Code des Sociétés Commerciales dispose: 
"Les dirigeants de la société anonyme doivent veiller à éviter tout conflit entre leurs intérêts personnels et ceux de la société et à ce que les termes des opérations qu’ils concluent avec la société qu’ils dirigent soient équitables. Ils doivent déclarer par écrit tout intérêt direct ou indirect qu’ils ont dans les contrats ou opérations conclues avec la société ou demander de le mentionner dans les procès verbaux du conseil d’administration."


· Dans le cas des sociétés à responsabilité limitée
En vue de prémunir les associés et les tiers de tout abus de biens sociaux qui pourrait être pratiqué par le gérant, le Code des Sociétés Commerciales a été amendé en vertu de la loi n°2009-16 du 16 mars 2009.
Depuis, l'article 115 du C.S.C. dispose que "Toute convention intervenue directement ou par personne interposée entre la société et son gérant associé ou non, ainsi qu'entre la société et l'un de ses associés devra faire l'objet d'un rapport présenté à l'assemblée générale soit par le gérant soit par le commissaire aux comptes s'il en existe un.
L'assemblée générale statue sur ce rapport, sans que le gérant ou l'associé intéressé puisse prendre part au vote, ou que leurs parts soient prises en compte pour le calcul du quorum ou de la majorité.

Lorsque la société ne comporte qu'un seul associé, la convention conclue avec la société doit faire l'objet d'un document joint aux comptes annuels.

Les conventions non approuvées produisent leurs effets, mais le gérant ou l'associé contractant seront tenus pour responsables, individuellement et solidairement s'il y a lieu, des dommages subis par la société de ce fait.
Les dispositions du présent article s'appliquent aux conventions passées avec une société dont un associé solidairement responsable, gérant, administrateur directeur général ou membre du directoire ou membre du conseil de surveillance est simultanément gérant ou associé de la société à responsabilité limitée."
Par ailleurs, il est interdit à la société d'octroyer des crédits à son gérant ou aux associés personnes physiques, sous quelque forme que ce soit, ou d'avaliser ou de garantir leurs engagements envers les tiers. L'interdiction s'étend aux représentants légaux des personnes morales associées ainsi qu'aux conjoints, ascendants et descendants des personnes visées ci-dessus.

Tout intéressé peut se prévaloir de la nullité de l'acte conclu en violation des dispositions ci-dessus.

Le ou les gérants sont responsables individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
Si les faits générateurs de responsabilité sont l'œuvre de plusieurs gérants, le tribunal détermine la part contributive de chacun d'eux dans la réparation du dommage.
Prescription: Les actions en responsabilité susmentionnées se prescrivent par trois (03) ans à compter du fait dommageable, ou s'il a été dissimulé, à compter de sa révélation.
Lorsque le fait est qualifié de crime, l'action se prescrit par dix (10) ans.

· Dans le cas d'un groupe de sociétés
En cas d'abus de biens sociaux, les procédures de faillite et de redressement ouvertes contre l'une des sociétés appartenant au groupe de sociétés peuvent être étendues aux autres société y appartenant en cas de confusion de leurs patrimoines, d'escroquerie ou d'abus des biens de la société faisant l'objet des procédures de faillite ou de redressement, ou s'il est établi que la société débitrice était fictive, et que les sociétés appartenant au groupe ont donné l'apparence d'y être associées.
La faillite peut être étendue aux dirigeants de droit ou de fait des autres sociétés appartenant au groupe de sociétés s'il est établi que la faillite est due à leur fait.

  • En cas de société civile
Les gérants et administrateurs de sociétés civiles sont considérés comme des mandataires. Comme tels, ils sont responsables des fautes accomplies dans l’exercice de leur mandat. S’ils abusent des biens sociaux, ils peuvent être poursuivis pour abus de confiance. Ils peuvent néanmoins être condamnés pour banqueroute si tous les éléments de l’infraction sont réunis. Le gérant d’une société civile ne saurait justifier son refus de rendre des comptes et de s’expliquer sur l’emploi d’un élément d’actif figurant au bilan lors de son entrée en fonction, par le fait que son acte de nomination avait été annulé.

  • En cas d'abus des biens ou du crédit de la société en liquidation
L'article 51 du Code des Sociétés Commerciales prévoit une peine de prison de un (01) à trois (03) mois et une amende de trois cents (300) dinars à trois mille (3.000) dinars sans exclure d'appliquer des peines plus sévères prévues par d'autres lois incriminant les mêmes faits (art. 53 du C.S.C.). L'article 51 du C.S.C. précise que la peine sera encourue par le liquidateur qui aura exploité la réputation (le crédit) de la société en liquidation ou aura fait sciemment des biens de ladite société un usage contraire à son intérêt à des fins personnelles ou en vue de favoriser une entreprise ou une société à laquelle il était intéressé, soit directement soit indirectement ou par une personne interposée. Il s'agit dans les deux cas de délits d'obstacles à des soustractions d'actifs commises de mauvaise foi.
La mauvaise foi est souvent établie à partir des actes réalisés pour masquer les abus : tenue irrégulière de comptabilité, non convocation des assemblées etc.


II- Des opérations soumises à autorisation, à approbation et à audit
1. Toute convention conclue directement ou par personne interposée entre la société, d’une part, et le président de son conseil d’administration, son administrateur délégué, son directeur général, l’un de ses directeurs généraux adjoints, l’un de ses administrateurs, l’un des actionnaires personnes physiques y détenant directement ou indirectement une fraction des droits de vote supérieurs à dix pour cent, ou la société la contrôlant au sens de l’article 461 du présent code, d’autre part, est soumise à l’autorisation préalable du conseil d’administration.
Les dispositions du précédent sous paragraphe s’appliquent également aux conventions dans lesquelles les personnes visées ci-dessus sont indirectement intéressées.
Sont également soumises à autorisation préalable les conventions conclues entre la société et une autre société lorsque le président directeur général, le directeur général, l’administrateur délégué, l’un des directeurs généraux adjoints ou l’un des administrateurs est associé tenu solidairement des dettes de cette société, gérant, directeur général, administrateur ou, d’une façon générale, dirigeant de cette société.
L’intéressé ne peut prendre part au vote sur l’autorisation sollicitée.
2. Sont soumises à l’autorisation préalable du conseil d’administration, à l’approbation de l’assemblée générale et à l’audit du commissaire aux comptes, les opérations suivantes :
o la cession des fonds de commerce ou d’un de leurs éléments, ou leur location à un tiers, à moins qu’elles ne constituent l’activité principale exercée par la société ;
o l’emprunt important conclu au profit de la société dont les statuts fixent le minimum ;
o la vente des immeubles lorsque les statuts le prévoient ;
o la garantie des dettes d’autrui, à moins que les statuts ne prévoient une dispense de l’autorisation, de l’approbation et de l’audit dans la limite d’un seuil déterminé. Les dispositions ci-dessus ne s’appliquent pas aux établissements de crédit et d’assurance.
3. Chacune des personnes indiquées à l’alinéa 1 ci-dessus doit informer le président-directeur général, le directeur général ou l’administrateur délégué de toute convention soumise aux dispositions du même alinéa, dès qu’il en prend connaissance.
Le président-directeur général, le directeur général ou l’administrateur délégué doit informer le ou les commissaires aux comptes de toute convention autorisée et la soumettre à l’approbation de l’assemblée générale.
Le commissaire aux comptes établit un rapport spécial sur ces opérations, au vu duquel l’assemblée générale délibère.
L’intéressé qui a participé à l’opération ou qui y a un intérêt indirect ne peut prendre part au vote. Ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité.

4. Les conventions approuvées par l’assemblée générale, ainsi que celles qu’elle désapprouve, produisent leurs effets à l’égard des tiers sauf lorsqu’elles sont annulées pour dol. Les conséquences préjudiciables à la société de ces conventions sont mises à la charge de l’intéressé lorsqu’elles ne sont pas autorisées par le conseil d’administration et désapprouvées par l’assemblée générale. Pour les opérations autorisées par le conseil d’administration et désapprouvées par l’assemblée générale, la responsabilité est mise à la charge de l’intéressé et des administrateurs, à moins qu’ils n’établissent qu’ils n’en sont pas responsables.
5. Les obligations et engagements pris par la société elle-même ou par une société qu’elle contrôle au sens de l’article 461 du présent code, au profit de son président-directeur général, directeur général, administrateur délégué, l’un de ses directeurs généraux adjoints, ou de l’un de ses administrateurs, concernant les éléments de leur rémunération, les indemnités ou avantages qui leurs sont attribués ou qui leurs sont dus ou auxquels ils pourraient avoir droit au titre de la cessation ou de la modification de leurs fonctions ou suite à la cessation ou la modification de leurs fonctions, sont soumis aux dispositions des sous-paragraphes 1 et 3 ci-dessus. En outre de la responsabilité de l’intéressé ou du conseil d’administration le cas échéant, les conventions conclues en violation aux dispositions ci-dessus peuvent, le cas échéant, être annulées lorsqu’elles causent un préjudice à la société.

III- Des opérations interdites
A l’exception des personnes morales membres du conseil d’administration, il est interdit au président-directeur général, au directeur général, à l’administrateur délégué, aux directeurs généraux adjoints et aux membres du conseil d’administration ainsi qu’aux conjoint, ascendants, descendants et toute personne interposée au profit de l’un d’eux, de contracter sous quelque forme que ce soit, des emprunts avec la société, de se faire consentir par elle une avance, un découvert en compte courant ou autrement, ou d’en recevoir des subventions, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers, sous peine de nullité du contrat.
L’interdiction prévue à l’alinéa précédent s’applique aux représentants permanents des personnes morales membres du conseil d’administration.
A peine de nullité du contrat, il est interdit à tout actionnaire, à son conjoint, ses ascendants ou descendants ou toute personne interposée pour le compte de l’un d’eux, de contracter sous quelque forme que ce soit, des emprunts avec la société, de se faire consentir par elle une avance, un découvert en compte courant ou autrement, ou d’en recevoir des subventions afin de l’utiliser pour la souscription dans les actions de la société.


IV. Des opérations libres
Les dispositions du paragraphe II ci-dessus ne s’appliquent pas aux conventions relatives aux opérations courantes conclues à des conditions normales. Les dispositions du paragraphe III ne s’appliquent pas aux opérations courantes conclues à des conditions normales par les établissements de crédit.
Cependant, ces conventions doivent être communiquées par l’intéressé au président du conseil d’administration, au directeur général, ou à l’administrateur délégué. Une liste détaillée de ces conventions est communiquée aux membres du conseil d’administration et au ou aux commissaires aux comptes. Ces opérations sont auditées selon les normes d’audit d’usage.